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Il faut savoir que je ne suis pas né dans un environnement dépourvu de télévision. Comme pratiquement tout le monde de ma génération, j'ai été « élevé » par la télévision. J'ai toujours été solitaire et passé tous mes mercredis à regarder le Club Dorothée, les mangas, les séries télé, les émissions et tout ce qui était diffusé. Mais à mesure que ma conscience du monde s'est développée ces dernières années, j'en suis venu à me rendre compte que je la regardais par automatisme et lorsque je ne voulais pas penser, pas réfléchir, n'avoir aucune activité cérébrale.

Mon ras-le-bol s'est accru proportionnellement à mon rejet du matérialisme et du superficiel et a atteint son paroxysme entre mars 2006 et mai 2007. Pourquoi ? Parce que j'étais écœuré des journalistes et du traitement de l'élection présidentielle. Entre septembre 2005 et mars 2006, je suis parti étudier en Australie. J'étais me suis donc coupé quasi complètement de ce qui se passait en France. C'est un camarade de classe qui m'a parlé des émeutes en France, je n'étais même pas au courant !
Et donc, à mon retour, j'ai découvert Ségolène Royal, dont je n'avais jamais entendu parlé avant. Je demandais alors à mes parents qui s'était, ce qu'elle avait fait, pourquoi elle était sur le devant de la scène médiatique. La réponse : ben non, elle a rien fait de spécial, les journalistes se sont mis à en parler, et voilà, maitenant elle est la concurrente principale de Sarkozy. J'ai trouvé ça aberrant. La suite des événements jusqu'à l'élection est toute aussi affligeante. La politique, on en a fait peu cas. C'était surtout « Ségo en maillot de bain » et « Sarko et Cécilia se séparent ». Le reste, ce qu'ils avaient fait politiquement, ce qu'ils pensaient, surtout Royal, aucune idée ; personne ne savait et tout le monde s'en foutait. Seule la vie privée intéressait. Et Sarko l'a exploité a fond, tant que ça le servait. Sa complicité avec les journalistes est écœurante.
Les journalistes complaisants qui se disent objectifs et fiers de faire leur métier avec déontologie mais qui n'osent pas secouer Sarko en lui posant des questions dérangeantes, je trouve ça à vomir. Ce n'est pas un journaliste français qui aurait osé poser une question sur son divorce comme l'a fait la journaliste américaine de CBS pour l'émission 60 minutes. Le premier président français qui divorce, c'est un (petit) événement, et à avoir tant mis sa vie privée en avant pour gagner, il aurait dû avoir une réponse toute faite, du style : « j'ai 50 ans, je suis pas le premier ni le dernier de ma génération à divorcer, c'est une histoire qui se termine, voilà. » Au lieu de ça, il s'est énervé ; je veux bien admettre que président ou pas, se faire plaquer, ça fait mal et qu'on n'a pas forcément envie d'en parler, mais si un personnage publique n'est pas capable de répondre à une question toute simple sur un phénomène devenu courant, c'est pathétique. Pathétique surtout parce que pour une fois, il ne s'est pas retrouvé face à un journaliste qu'il contrôlait. Belle réaction que de s'énerver...
Quant à
Sarko qui fait virer le patron de Paris Match pour avoir diffusé des photos de Cécilia avec le publicitaire Richard Attias, inqualifiable.

D'autres choses m'énervent avec la télé. Sa place prépondérante, notamment. C'est un nouveau membre de la famille, qui trône à table avec tout le monde, le salon est tourné vers elle, et tout ce qui en sort est pris comme parole d'évangile. Et cette expression est parfaite, car parfois plus qu'un membre de la famille, plus que le patriarche de celle-ci, elle prend de plus en plus souvent la place d'une religion. Elle formate les goûts, les envies et les besoins et réduit même l'individu à zéro (rappelez-vous du « temps de cerveau disponible » de Ptrick Le Lay, patron de TF1, LA chaîne française ; je n'arrive d'ailleurs pas à comprendre qu'une telle phrase qui nie l'individu n'ait pas conduit à des réactions plus violentes, de boycot ou autre...bonjour l'apathie du téléspectateur. Il se fait insulter mais n'a même pas la faculté de réagir. Affligeant, une fois de plus.). Elle conduit à l'exclusion de ceux qui ne la suive pas. Ne pas avoir de télé, et on est un marsien. Ce qui m'unit avec ma génération, c'est les séries que j'ai avalées abondamment quand j'étais enfant, puis ado. On a cette culture en commun. Et maintenant que je ne la regarde plus, le fossé se creuse entre moi et les autres. Pas tout à fait, car je regarde toutefois régulièrement des séries américaines, en les prenant pour ce qu'elles sont, juste 3/4 h de divertissement, mais je les regarde en VO, afin de ne pas perdre mon niveau d'anglais, ce qui est bon pour mon métier de traducteur. Je n'irai pas jusqu'à dire que je regarde Urgences pour le boulot, faut pas exagérer, mais la télé est devenu une exception dans mes journées et non plus l'événement principal. Elle s'immisce aussi dans toutes les sphères, de l'intime, du journalisme écrit, de la science, tout.
On consomme de la télé, on enchaîne les émissions comme on enchaîne les verres dans une soirée entre potes. Par automatisme, sans s'attarder sur le goût de l'alcool qu'on boit, de l'émission qu'on regarde. Et le résultat est le même sur notre cerveau : on n'est plus capable de réagir correctement, la conscience s'efface.

Un autre aspect aberrant, développé notamment par Noam Chomsky dans son livre « Manufacturing Consent », ainsi que par Pierre Bourdieu, est le fait qu'à la télévision, il n'y a pas de débat. Ce qu'on appelle débat n'en est en fait pas. Car l'un des fonfamentaux de la télé, c'est le temps : il est extrêmement limité. On ne peut donc rien dire. Du moins, rien d'intéressant, et surtout rien de complexe ou révolutionnaire, seulement des lieux communs.
Imaginez un débat scientifique télévisé du temps de Galilée, l'opposant à ses confrères. L'un exprime l'idée que la terre est plate. Pas besoin de détailler, de développer, tout le monde le sait et l'accepte, le téléspectateur est en terrain connu et conquis. Galilée prend la parole et affirme qu'elle est ronde. Comment pourrait-il le prouver alors que les interventions ne dépassent pas 2 minutes, quand on a de la chance ? On part du principe qu'après un court laps de temps, le téléspectateur perd sa capacité de concentration. Une fois de plus, belle preuve de l'énorme considération envers le téléspectateur. Le journaliste, dirigeant le débat, est là pour le maintenir vivant, vif, actif, or une pensée qui sort des sentiers battus a besoin de temps pour être expliquée. Et ça, je ne l'ai trouvé nulle part. La seule émission qui s'en approchait, car laissant peut-être 5 minutes par intervenant, était une émission de France 3, Ce soir ou jamais. Bref, il n'y a aucun débat, aucune analyse profonde à la télévision.

Autre preuve de la considération du publique français, qui me touche dans mon métier, la traduction. L'anglais commence toutes ces interjections par « Oh my god! ». Au point même qu'il existe l'abréviation « omg » utilisée dans les messageries instantanées et sms. Mais il faut éviter de traduire par « Oh mon dieu ! ». Pourquoi ? C'est une expression utilisée en France, pourtant. Sans doute pas aussi souvent que dans les pays anglophones, mais tout le monde l'utilise, sans être forcément croyant, moi le premier (même si je dis beaucoup plus facilement « putain ! » que « Oh mon dieu ! »). On atténue les dialogues d'origine, les « fuck » deviennent des « mince », c'est ridicule. En général, la version sous-titrée est plus fidèle à la version originale que la version doublée. Certes, il y a des impératifs qui rendent la traduction compliquée, en dehors des références par exemple à des personnalités ou des produits inconnus en France. Notamment le nombre de caractères du sous-titre ou, pour le doublage, la synchronisation avec le mouvement des lèvres. Mais je trouve que ces altérations sont un manque de respect pour le téléspectateur et pour les auteurs et les acteurs de la série. En outre, souvent, en France, les épisodes d'une série sont passées dans le désordre, avec des scènes coupées pour ne pas choquer le téléspectateur. C'est sympa, mais on est grand les gars ! Ca aussi c'est un manque de considération flagrant pour le téléspectateur, et les auteurs et acteurs de la série ainsi charcutée.

Mais tout cela, est-ce si grave ? Non, dans le sens où, au fond, la télé n'est rien d'autre qu'un moyen de divertissement. Rien n'empêche qu'elle fasse aussi réfléchir, mais quand on va à Disneyland, c'est pour s'amuser et se sortir du quotidien, pas pour réfléchir à la superficialité et au mercantilisme du lieu.
Le seul problème, c'est qu'étant prépondérante dans notre société, et quasi inévitable, et même un but en soi, l'objectif des jeunes étant souvent de devenir une célébrité, une star de télé, d'où le succès de la « télé réalité » qui n'a rien de réel, puisque la simple présence d'une caméra modifie le comportement des sujets observés, mais je reviendrai sur le sujet dans un autre article, des responsabilités s'imposent à elle. Elle doit être honnête, et se présenter comme étant un simple moyen de divertissement, au même titre que faire une partie de foot avec des potes, lire un roman ou aller à un concert, et ne faire que ça. Ou alors, elle doit permettre de développer la conscience, le savoir, la connaissance des téléspectateurs et être alors identique à lire un livre expliquant les phénomènes psychologiques ou sociologiques, par exemple, ou l'écoute de paroles engagées
. Bref, elle doit être véritablement éducative et prendre le temps.
Hélas, ce n'est pas le cas, elle se présente comme éducative (Mme météo de TF1 nous dit ce qui « est bon pour la planète »), ouverte, intègre, le reflet de la réalité, mais la vérité est que ce qui intéresse les responsables, c'est de « vendre du temps de cerveau disponible ». Il s'agit là d'un comportement particulièrement malhonnête, pervers et vicieux. La télé doit redevenir la télé, un simple meuble, et non plus le centre de notre société.

Voici un texte tiré du site nopasaran.samizdat.netIl exprime parfaitement ma vision de la télévision.

Travailler, dormir et... regarder la télé !
Après l’exercice d’une activité professionnelle et le sommeil, regarder la télévision constitue la troisième occupation des occidentaux. Elle est, et de loin, la première des activités domestiques. On y passe en moyenne trois heures par jour en France, quatre heures aux Etats-Unis.

Au fil des décennies, la télévision a pénétré dans la plupart des foyers. En 1970, en France, 32 % des ménages ne possédaient pas de poste ; en 1977, 13 % ; aujourd’hui ce chiffre est tombé à 5 %. Aucun appareil ménager n’avait réussi à s’introduire dans les foyers aussi rapidement et aussi massivement. D’ailleurs, sa présence ne surprend plus du tout ; bien au contraire, c’est son absence qui étonne, et qui suscite parfois des inquiétudes. La grande majorité de la population ne se pose même plus la question de savoir pourquoi avoir un téléviseur. Les interrogations portent plutôt, pour une extrême minorité sur l’intérêt de ne pas en avoir un.

Cette conquête des esprits se traduit aussi par une présence physique particulière. Dans la plupart des foyers, le téléviseur a un statut exceptionnel. Il trône, à la meilleure place, dans la pièce principale. L’agencement de la salle de séjour se fait en fonction du poste et non pour former un cercle convivial. Cette pièce, à l’origine lieu de rencontre structuré pour permettre l’échange entre individus, s’est transformé en salle de projection. Cette configuration se retrouve partout où la télévision s’est imposée. Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger le constatait (1) : “premier agent de la mondialisation des mœurs, elle suscite un ensemble quasi rituel de comportements uniformes, quels que soient les environnements et les messages visuels : disposition du mobilier, assemblée de spectateurs orientés vers la source lumineuse, horaires contraints par un spectacle généralement programmé à heure fixe, etc.”Beaucoup allume leur télévision comme on ouvre un robinet d’eau, par simple habitude. En 1990, une étude nous apprenait “qu’elle était si intégrée au quotidien que le fait d’allumer ne paraît pas constituer, dans la majorité des foyers une réelle décision correspondant à un véritable choix.” D’ailleurs, même les moments censés favoriser la discussion sont altérés ; dans une enquête, 62,8 % des enfants déclaraient que la télévision fonctionnait pendant le dîner. La télévision reste parfois allumée en permanence, des gens la regardent, sans en avoir la volonté, par automatisme.

Centralité, omniprésence, diktat, la place du petit écran a des conséquences dramatiques.

La télévision isole, renferme, aliène
Elle a largement participé au mouvement de repli sur soi qui s’est développé depuis l’avènement de la société de consommation. On ne peut cependant pas la considérer comme l’unique responsable de cette atomisation. Le triomphe du libéralisme, et ses effets sur la place et le rôle de l’individu dans une société explique ce repli sur la sphère privée. Les effets de ces processus d’éclatement ont réduit les liens sociaux, qui ne se tissent plus que dans le cadre du travail, et qui, avec l’émergence de la production post-fordiste, disparaissent totalement. La plupart des individus s’enferment dans leur cocon, protégés du reste du monde ; comme l’explique le sociologue Daniel Bougnoux (2) : “Nous demandons à la télé de nous mettre dans un état de relaxation qui permet sans bouger de chez nous et sans avoir à faire face à l’horrible monde et aux horribles “autres”, de vivre ensemble séparément, d’avoir le monde chez soi. Cette vitrification de tout ce qui peut arriver (la télé est d’abord une vitre) permet d’avoir la jouissance de la stimulation sensorielle, mais de fa« on filtrée et amortie.” Enfermé dans son petit confort, captivé par le tube cathodique, la passivité s’installe.

Le lien qui unit le téléspectateur à son téléviseur est de nature hypnotique. Regarder cette lucarne bleutée met en sommeil l’intellect, ramollit physiquement, et contrairement à ce que l’on pense communément, ne repose pas du tout. Elle fonctionne comme un anesthésiant dont on dépend très rapidement.

Le téléspectateur perd sa capacité, son pouvoir personnel de réflexion. Si on se réfère à la définition de terme aliénant : “l’individu perd la libre disposition de lui-même” (Petit Robert), on peut affirmer que la télévision aliène. Son fonctionnement coupe systématiquement l’individu de sa pensée. Le flux continuel d’images interrompt et empêche la communication et la réflexion. L’incessant déversement de programmes suscite une adhésion immédiate, qui génère le silence. Marie-José Mondzain explique ce processus (3) : “Quand on est privé de la possibilité de faire la différence entre ce qu’on voit et ce que l’on est, la seule issue est l’identification massive, c’est-à-dire la régression et la soumission.” Le réel devient ce que l’on voit. Or, s’il n’y a pas de distance entre le réel et le vu, il n’y a pas de jugement possible, donc plus besoin du politique. La réalité devient nôtre, pourquoi la changer ? Car c’est bien, comme l’explique M.J. Mondzain “cette résistance au réel qui suscite la pensée et qui incite les humains à se rassembler.” La télévision engendre donc une dépolitisation du monde. L’individu est réduit à l’état de client et de spectateur, comme l’avait pressenti Guy Debord dans Commentaire sur la Société du spectacle lorsqu’il écrivait : “celui qui regarde toujours pour savoir la suite n’agira jamais.” L’individu est convaincu de son impuissance face à son époque. La réalité de l’ordre établi s’impose alors d’elle même, immuable.

Une vie par procuration
Toutes ces heures passées devant le petit écran donnent au téléspectateur l’impression d’être dans la réalité. Et plus les chaînes se multiplient, plus il a le sentiment d’avoir accès au monde. Dans L’image publicitaire à la télévision, José Saborit va encore plus loin (4) : “Notre regard a été lesté du poids inévitable de l’expérience télévisuelle et les mécanismes de vérification sont inversés.” Les expériences réelles - la vie en somme - infirmeraient ou confirmeraient les “vérités” de la télévision.

Elle fabrique la réalité, comme l’explique Jacques Ellul dans Le bluff technologique : “Il n’y a pas vraiment d’information à la télévision, il n’y a que la télévision. Un événement ne devient nouvelle que si la télévision s’en empare”, et “sitôt que la télévision ne montre plus rien sur la question, il n’y a plus de question. C’est bien cela qui signifie que c’est la télévision elle-même qui est le message [...] et nous sommes seulement des consommateurs d’information.” Actuellement la télévision a pris une telle importance dans nos sociétés que le réel correspond pour la majorité de la population (70% des personnes ont pour seule source d’information la télévision) à ce qu’elle retransmet. L’événement pour exister, doit être diffusé ; ceci a des conséquences - comme nous le verrons ultérieurement - sur le déroulement même de cet événement. N’est alors visible, et comme nous venons de le montrer : réel, que ce qu’on veut bien nous montrer.

Les images, contrairement à ce qu’elles tendent à faire croire résultent d’une série de choix : du journaliste qui décide de se rendre à tel endroit, du cameraman qui filme telle scène, du monteur qui sélectionne telle partie, etc. Ces choix s’opèrent en fonction des opinions, des aspirations et de la structure dans laquelle travaille le journaliste. Et une image n’a de sens que dans un contexte particulier.

Pourtant, on présente les images comme objectives. Elles donnent l’impression au téléspectateur qu’il assiste à l’événement et que ce qu’il regarde est la réalité. Il n’a pas la possibilité de distanciation par rapport aux messages qui lui sont assénés. L’image télévisuelle ne laisse aucune place au recul et à la réflexion.

Le danger n’est pas tant de donner une vision subjective du monde que de se présenter comme objective, voir même sacrée. Alors que, comme l’écrit M.-J. Mondzain : “Tout est transmis sur le mode de la participation à une réalité, en dissimulant qu’il y a des appareils, un montage, un ensemble de contraintes qui font que, sur place, on n’aurait certainement pas vu la même chose.” Elle appelle « a : “l’effet balcon”. C’est-à-dire une effet qui donne à croire que ce que l’on voit au travers du petit écran est la réalité, dont le téléspectateur serait le témoin. Il n’assiste en aucun cas à un événement mais à une de ses représentations. Et avec les images, le travail de compréhension de la partie non visible devient très difficile. La télévision occulte, par son principe même l’analyse. Le téléspectateur intègre et fait sien d’autant plus facilement ce qu’on lui présente qu’il ne dispose pas de moyens pour élaborer une pensée, et donc, un autre discours. Voir ne permet pas de comprendre. L’abondance de l’information, le déferlement des images fausse la réalité bien plus qu’il ne permet d’en saisir la complexité. M.J. Mondzain résume parfaitement cette idée : “L’exercice de la liberté ne naît pas d’une accumulation. Ce n’est pas : plus je vois des choses, plus je comprends, mais toujours : plus je pense, mieux je comprends.”

Un modèle hégémonique
En quelques décennies, la télévision est devenue le média dominant. Elle a peu à peu occupé l’espace en reléguant les autres médias à des fonctions subalternes. Mais sa force et son hégémonie dépassent le cadre de cette concurrence. C’est sa vision de l’information - voir même du monde - qui s’est imposée. Les autres médias ainsi que d’autres domaines ont intégré, parfois pour pouvoir survivre, les valeurs et les normes du petit écran : fascination pour l’image, pour le spectacle, urgence, recherche de scoops, brièveté, superficialité, conformisme, idées re« ues, jeu avec l’émotion, etc. Pierre Bourdieu, dans son opuscule Sur la télévision, décrit ces mécanismes. Il montre comment “par sa puissance de diffusion, la télévision pose à l’univers du journalisme écrit et à l’univers culturel un problème absolument terrible [...] Par son ampleur, son poids tout à fait extraordinaire, la télévision produit des effets qui, bien qu’ils ne soient pas sans précédent, sont tout à fait inédits.” Si nous prenons le cas de la presse écrite, nous nous rendons compte de l’impact de la télévision. La grande presse a abandonné son rôle intellectuel pour se positionner sur le terrain de la télévision. Elle privilégie le spectaculaire, l’émotion, les faits divers et les questions relatives aux problèmes quotidiens. Aucun thème ne deviendra prioritaire si la télévision ne s’en empare pas. Bourdieu s’en inquiète : “Mais le plus important, c’est qu’à travers l’accroissement du poids symbolique de la télévision et parmi les télévisions concurrentes, de celles qui sacrifient avec le plus de cynisme et de succès à la recherche du sensationnalisme, du spectaculaire, de l’extraordinaire, c’est une vision de l’information, jusque là reléguée dans les journaux dits à sensation, voués aux spots et aux faits divers, qui tend à s’imposer à l’ensemble du champ journalistique.”La classe politique a rapidement compris l’intérêt qu’elle pourrait retirer d’une bonne exploitation de la télévision. Le petit écran est devenu l’élément centrale de la vie politique. Il lui a dicté ses règles. Le débat politique, qu’une minorité s’était déjà accaparée, est désormais proche de zéro, fait de petites phrases, de déclarations tonitruantes, de comportements mis en scène pour séduire. Il faut persuader devant la caméra, avoir des idées simples, faciles à expliquer... Les stratégies politiciennes s’élaborent avant tout en fonction des impératifs télévisuels .Pire encore, la télévision a la prétention d’occuper tout l’espace des débats. Elle traite de tous les sujets avec solennité. Elle voudrait investir tous les domaines de la société. Bourdieu le souligne : “le phénomène le plus important, et qui était assez difficile à prévoir, c’est l’extension extraordinaire de l’emprise de la télévision sur l’ensemble des activités de production scientifique ou artistique.”

On retrouve son hégémonie dans la production cinématographique. Désormais chaque réalisateur de films de fiction, et encore plus de documentaires doit tenir compte du passage à la télévision de son oeuvre. Il en va, la plupart du temps de la survie d’un projet. Cette mainmise entraîne un normalisation effrayante de la production audiovisuelle et assoit encore un peu plus le pouvoir de la télévision et de ses règles sur l’ensemble de la société. Tout instrument d’enregistrement agit sur ce qu’il enregistre. Seulement la télévision en devenant la référence est désormais “l’arbitre de l’accès à l’existence sociale et politique.” Ce qui la rend extrêmement dangereuse.

 

Fushichô

4 novembre 2007

 

 

Critique de la télévision
 
© 2010 Fushichô