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Vaste sujet que la mort.

En cette période de Toussaint, j'ai souhaité l'aborder.
En effet, deux articles ont éveillé ma curiosité ; ils se recoupent car tous deux montrent que notre approche de la mort évolue et prend actuellement des formes nouvelles, et que cela reste un sujet tabou, alors qu'elle est inéluctable, universelle et égalitaire.

Le premier article est tiré du Monde du 1 novembre 2007 (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3238,36-973052,0.html?xtor=RSS-3208) :

Pour la Toussaint, Daniel Coing-Daguet s'attend à un pic de fréquentation sur son site Internet. Créé en 2003, lecimetiere.net connaît un développement discret mais constant. "La mort, c'est un sujet délicat, les gens n'osent pas trop aller sur le site ou en parler", reconnaît son créateur, un ouvrier de 49 ans, passionné d'informatique.
Aussi déroutant soit-il, le concept est simple : lecimetiere.net donne à ses utilisateurs la possibilité de mettre en ligne l'image d'un disparu et de l'honorer en lui adressant des photos de fleurs ou de paysages, gratuites ou payantes, accompagnées de textes et de messages personnels. Le créateur du site annonce plus de 10 000 tombes virtuelles et assure que de 1 000 à 1 200 fleurs y sont déposées chaque jour. Elles "fanent" et disparaissent du site au bout de sept jours. Un espace destiné aux "particuliers" côtoie des entrées réservées aux enfants disparus, "les anges", ou aux "célébrités".
A l'origine, M. Coing-Daguet souhaitait rendre hommage aux artistes qu'il aimait ; puis il a ajouté sur le site des membres de sa famille, avant de l'ouvrir à des particuliers. "Pour certains, venir sur le site est devenu un besoin, ils ont un vrai culte pour leur défunt. Cela aide aussi les gens qui n'habitent pas près du lieu d'inhumation de leurs disparus, explique-t-il. C'est vrai qu'ici tout est virtuel, mais le recueillement sur une tombe au cimetière, c'est tout aussi virtuel, non ?" L'initiative, pourtant, choque : l'animateur du site reconnaît avoir eu maille à partir avec certaines familles. "Une fille avait mis la photo de sa mère décédée sur le site. Le fils ne le supportait pas et a menacé de me poursuivre en justice", raconte-t-il.

PELUCHES LE LONG DES ROUTES

Mais la délocalisation des lieux de mémoire ne s'arrête pas là. Depuis quelques années se développent les sites Internet et les blogs créés par des proches de jeunes gens victimes de maladies ou d'accidents. Ces nouveaux lieux virtuels d'hommage correspondent à un espace où les adolescents peuvent exprimer leur peine. Pour d'autres familles, le culte rendu aux morts déborde sur l'espace public. Des bouquets colorés, des croix marquées d'un prénom, des photos accompagnées de poèmes ou de peluches se multiplient le long des routes de France, marquant de manière spectaculaire un lieu d'accident.
"Ces bornes de mémoire sont installées par les proches d'une victime, en général un jeune ou un enfant emporté par un accident de la route, et tendent à souligner l'aspect intolérable de la mort violente", constate Laetitia Nicolas, une jeune anthropologue, auteur d'un mémoire sur le sujet. "Pour certains parents soucieux de lutter pour la sécurité routière, la dimension militante de l'installation d'un mémorial sur la voie publique est évidente. Mais beaucoup ont du mal à expliquer les raisons de leur geste ; ils le font spontanément, au risque de choquer ceux qui ne supportent pas que l'on étale ainsi une douleur intime."

Le deuxième article est une dépêche de l'AFP, toujours daté du 1er novembre 2007 (http://www.afp.com/francais/news/stories/newsmlmmd.1ce666b3843ee033bc86af5199ff36a2.c1.html) :

PARIS (AFP) - Halloween a fait long feu, les Français vont moins au cimetière pour fleurir les tombes, la crémation continue de progresser et le deuil se fait discret: la Toussaint n'est plus tout à fait ce qu'elle était. 
[...]
Mais beaucoup de Français confondent la Toussaint et le jour des morts (le 2 novembre), dédié au souvenir des morts de la famille et occasion traditionnelle de visite au cimetière. Même cette tradition est en léger recul, selon un sondage réalisé par le Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) pour la Chambre syndicale nationale de l'art funéraire (CSNAF).
Le même sondage montre que les Français sont de plus en plus nombreux à préparer eux-mêmes l'organisation de leurs obsèques ou à envisager de le faire. Traditionnellement, ce soin était laissé aux familles, qui dans l'immense majorité n'avaient qu'à se conformer aux rituels religieux, et s'habillaient de noir de la tête aux pieds pendant des mois (un an pour le conjoint, neuf mois pour un parent).
Actuellement le deuil n'est plus visible, la pratique religieuse recule et 25% des morts sont incinérés. François Michaud Nérard, directeur des Services funéraires de la Ville de Paris, parle même de "révolution de la mort".
"Pèlerin magazine" publie cette semaine un hors-série intitulé "Face à la mort - comment se reconstruire". L'un de ses auteurs remarque que toutes les sociétés primitives ont développé un culte des morts alors qu'au contraire, le monde occidental est en train de gommer les rites : "La mort n'est pas seulement refusée, elle est déniée dans une société travaillée par un rêve d'immortalité ou plutôt d'amortalité."
La même publication fait le tour des croyances et rites dans les diverses religions et familles de pensée et donne la parole à Soeur Emmanuelle (97 ans) qui affirme que "(sa) mort sera le plus beau jour de (sa) vie".

 

Il apparaît ici que le besoin de se recueillir est toujours aussi présent, mais s'adapte au monde d'aujourd'hui. On se recueille maintenant devant son PC, même si certains trouvent cela choquant, comme le montre le premier article, on ne porte plus le deuil pendant des mois ; c'est d'ailleurs tout juste si on le porte le temps de l'enterrement.
La constante est bien ici le recueillement et sa nécessité, qui est traditionnel dans notre société, et en déroger paraît une hérésie.
Mais quelle que soit la forme du recueillement, il s'agit d'un point de vue entièrement personnel, et chacun vit son deuil différement, selon le lien avec le défunt, l'état d'esprit du moment parfois, si on est plus fragile parce qu'on a des problèmes au boulot, de famille, d'argent ou que sais-je. Mais c'est une affaire personnelle avant tout, et chaque forme de deuil est respectable. Si la personne, dans le premier article a ressenti le besoin d'honorer sa mère via Internet, son frère aurait dû respecter son choix ; apparemment, cette forme de recueillement lui semblait sans doute irrespectueuse et plutôt que de s'en prendre à sa soeur, il a décidé de menacer de poursuites l'auteur du site. 

Y avait-il vraiment manque de respect, ou souhaitait-il que cette douleur reste intime, cachée, comme honteuse ? Le deuxième article rejoint le premier sur ce point. Dans notre société, on gomme les rites, on fait tout pour effacer la mort. Mais la mort est là, elle n'est pas honteuse, elle est inéluctable. Sans doute aussi qu'il s'agit d'un autre aspect du culte de la jeunesse. On rejette la vieillesse et sa fin ultime, la mort, par tous les moyens. On n'ose pas en parler, et quand quelqu'un en parle, il est toujours délicat de savoir quoi dire. A-t-on peur de la faire venir si on en parle ? À réfléchir ce soir sur ce sujet, j'ai le sentiment qu'une grande partie de nos difficultés face à la mort relève de la superstition...

Mais au fond, lorsqu'un proche meurt, est-il vraiment important ? 
Je m'explique : 
Lorsqu'un membre de notre famille, un ami, une connaissance meurt, la première réaction c'est d'être effondré, de pleurer. Pourquoi ?
Freud nous dirait que c'est parce qu'il nous est arrivé à un moment ou un autre dans notre relation avec le mort de souhaiter, inconsciemment ou non, sa disparition. Le moment arrive et l'on se sent responsable. Peut-être.
Je pense plutôt qu'à ce moment, on se replit entièrement sur soi. On pense au fait qu'on ne reverra plus la personne, on pense à ce qu'on n'a pas pris le temps de lui dire, ou à ce qu'on lui a dit lors d'une dispute et qu'on regrette, on pense qu'on en n'a pas profité assez, que ça fait un an qu'on dit qu'on doit l'appeler et que maintenant c'est trop tard. Bref, on ressasse, on se culpabilise, on regrette.
À quel moment pense-t-on vraiment au défunt ? Pourquoi ne pas changer de point de vue ?
Plutôt que de se dire : je n'ai pas assez profité de lui/d'elle, pourquoi ne pas simplement se dire : je me souviens quand on mangeait ensemble, il avait toujours une connerie à sortir. Certes, il avait un caractère de chien, mais au fond était extrêmement généreux avec les gens qu'il aimait et qui l'aimaient. On a passé du bon temps ensemble.
Il faut chérir les moments passés et ne pas se lamenter sur ce qu'on n'a pas fait, pas dit, sur ce que l'on ne pourra plus faire ni dire.
Il faut bien sûr aussi profiter de ses proches tant qu'il sont là, cela permet aussi d'éviter de se dire « j'aurai dû l'appeler plus souvent ».

L'autre changement de point de vue que je souhaite souligner, et sans doute le plus difficile, c'est de se mettre « à la place du mort ». C'est-à-dire, qu'advient-il du mort? Qu'est-ce que sa mort représente pour lui ?  Oui, untel est mort. Mais c'est une chance, maintenant il est libre. Il était malade, elle était vieille, et maintenant, toutes les souffrances qui hantaient sa vie, il n'aura plus à les subir. Plus de souffrances, n'est-ce pas ce qu'on souhaite pour les gens qu'on aime ? Qu'ils ne souffrent plus de leur maladie, de leur anxiété, de leurs problèmes ou je ne sais quoi d'autres ? Ne devrions-nous pas nous réjouir que la personne qu'on aime soit enfin parfaitement libre de toute contrainte, de toute peine, de toute douleur ?
J'ai conscience que ce point de vue est assez difficile à comprendre et à accepter, car il est facile de se dire : ouais, en fait, il est content qu'il ou elle soit morte !
Non, clairement pas ! Je préfèrerais que mes proches soient éternels, mais d'une certaine manière, mourir, c'est l'une des plus belles choses qu'il puisse nous arriver. Car le bonheur, c'est l'absence de souffrances, et lorsqu'on meurt, on ne souffre plus.
Peut-être est-ce ce que Sœur Emmanuelle voulait dire en affirmant que « (sa) mort sera le plus beau jour de (sa) vie ».
Je ne fais pas non plus l'apologie du suicide, je tiens seulement à partager ma propre expérience.

En effet, l'an dernier, le 21 février, une amie est morte dans un accident de voiture 10 jours avant ses 24 ans, ma grand-mère est morte le 22 juin suite à une maladie fulgurante à près de 80 ans, le 5 septembre, un ami a fait une tentative de suicide, heureusement ratée, mais de peu, et le 6 novembre, mon oncle est mort à 53 ans, suite à une longue maladie.
En quelque mois, j'ai traversé de nombreux états, et mon rapport à la mort a considérablement évolué, pour arriver là où j'en suis actuellement, ce que j'exprime ci-dessus. Lors de l'enterrement de mon oncle, alors que tout le monde pleurait, je me retenais de ne pas sourire, car j'étais profondément, sincèrement heureux pour lui : il était libre et n'avait plus à souffrir de la maladie.
Par respect pour ma famille, je ne l'ai pas montré, car beaucoup auraient été choqués d'une telle réaction. Mais de penser à lui, pas à moi, m'a énormément aidé à traverser cette épreuve. Je pense bien évidemment régulièrement à lui et souvent les larmes me viennent aux yeux, mais il suffit que je reprenne le "bon" point de vue, et je redeviens heureux ; je peux être heureux en pensant à un proche mort que j'aimais beaucoup et qui était une référence pour moi.

Je me prends à rêver non pas que tout le monde agisse ainsi, mais déjà que tout le monde accepte la façon qu'a chacun de faire son deuil, car c'est un sentiment parfaitement intime et personnel.
Le frère du premier article aurait dû respecter le choix de sa soeur, à partir du moment où cela la soulageait dans l'épreuve. Mais enfermé dans sa propre douleur, il en a oublié les autres.
De même, lors de l'enterrement de ma grand-mère, mes cheveux rouges et mes piercings ont conduit un de mes oncles, le fils de ma grand-mère, à me faire la gueule pendant près d'un an. Parce qu'il estimait que c'était un manque de respect pour ma grand-mère. Certes, elle n'aimait pas mes piercings, mais elle ne m'a jamais fermé sa porte. Et lui, se conduire ainsi, n'était-ce pas un plus grand manque de respect envers sa mère, car il est sûr que s'il avait agit ainsi à ne plus vouloir me voir à cause de mon look du vivant de ma grand-mère, il se serait fait engueuler par sa mère !
Mais je me dis que le chagrin qu'il avait, la colère due à un sentiment d'abandon par sa mère peut-être, ils étaient très proche, devait trouver un moyen d'expression, un dérivatif, et moi et mon look, on était là !
Donc si se défouler sur moi a pu l'aider, c'est avec plaisir ! Mais ce n'est que mon interprétation, j'ai peut-être tort.

Pour finir, je souhaiterai parler des rites. D'une manière générale, je suis contre.
C'est-à-dire que je pense que le deuil étant personnel et intime, personne ne doit m'imposer la façon de le vivre. Pourquoi devrais-je porter du noir ? Ma douleur sera-t-elle moins grande que si je suis en tongs et en bermuda rouge ?
Pourquoi ne dit-on jamais du mal d'un mort ? A-t-on peur qu'il vienne nous hanter par la suite ? Mais personne n'est parfait, et ce qui fait une personne, c'est autant ses qualités que ses défauts. Lorsqu'on parle d'un ami à un autre, on parle de toute sa personnalité. « Il a le coeur sur la main, mais il peut être une vraie tête de con, parfois », dit-on. Sa mort en ferait-elle d'un seul coup un ange ? Non, bien sûr, et je trouve qu'il est important de se rappeler de la personne telle qu'elle était vraiment. Il n'y a aucun manque de respect à dire la vérité.
Et pourquoi ne peut-on pas disperser les cendres de nos morts où l'on veut ? Pourquoi devrais-je le mettre dans un columbarium où de toute façon, je n'irai jamais, puisque j'irai honorer sa mémoire sur le net ? Pourquoi dois-je l'enterrer, pourquoi dois-je payer une somme exorbitante, pourquoi le gouvernement encadre strictement ma douleur, la taxe-t-il ? Oui, pourquoi si un corbillard passe dans une ville, on doit payer ? Qu'on paye la concession, OK, mais le fait de faire traverser une ville à un mort, pourquoi le faire payer ? Pour conjurer le sort ? Pour éviter de le faire passer, car s'il ne passe pas dans notre ville, son âme ne trouvera pas le chemin pout hanter le maire ? Foutage de gueule !!!
Pourquoi n'a-t-on pas le droit de l'enterrer intimement dans son jardin ? Qui cela gêne-t-il ?
Pourquoi est-ce si aberrant de s'assoir sur une tombe ? Le marbre d'une cheminée et celui d'une tombe, c'est le même ! Et c'est juste du marbre ! On ne s'assoit pas sur la tête du mort, on s'assoit sur une dalle en marbre !!! Où est le drame ? Parce qu'il y a un mort à 6 pieds au-dessous ? Le mort ne va rien sentir, il ne va pas se plaindre, et son âme va pas venir nous posséder en remontant par le cul !
Cela choque les gens, mais pas parce que c'est un manque de respect pour le mort, mais ils sont choqués parce qu'ils estiment que c'est un manque de respect pour la façon dont ils voient la mort et le comportement adéquat. Mais qui a décrété le comportement qui devait-être observé ? Est-il par ailleurs universel, ce comportement ? Bien sûr que non, les rites diffèrent d'une culture à une autre, d'une société à une autre. La mort est universelle, ses rites son subjectifs. Étant subjectifs, pourquoi devrais-je les suivre aveuglément ?
Toute la difficulté est de trouver l'équilibre entre le respect de la façon dont nos proches font le deuil et le respect de sa propre façon de faire son deuil.

 

Fushichô

2 novembre 2007

 

 

La mort
 
© 2010 Fushichô