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Je suis récemment devenu végétarien. C’est quelque chose qui me trottait dans la tête depuis plusieurs années, mais je n’avais jamais franchi le pas. Je m’étais contenté de diminuer ma consommation de viande, mangeant essentiellement du poisson et de la viande blanche lorsque je mangeais de la viande. Mais l’idée faisait petit à petit son chemin. Et l’an dernier, alors que je travaillais en Allemagne, 2 circonstances se sont conjuguées afin de me mener à enfin franchir le pas. Mes lectures libertaires, d’une part, dont des lectures sur le végétarisme, qui m’ont apporté motivation et conviction pour arrêter de manger de la chaire animale, et l’occasion d’acheter végétarien d’autre part. En effet, les magasins bio/végétariens sont fréquents en Allemagne, et moins chers qu’en France. Et il y en avait un sur le chemin entre chez moi et mon lieu de travail. J’ai donc franchi le pas, finalement assez facilement.

C’est d’ailleurs pas trop compliqué de devenir végétarien seul chez soi, de ce faire à manger des légumes et des plats tout prêts au tofu, au seitan, etc. Le plus chiant fut au début pour sortir chez les potes, la question première étant : mais qu’est-ce que tu vas manger ? Bah fais moi un plat de pâte ou de riz, un truc tout con et basta ; je viens de toute façon pas pour manger des ortolans, mais pour passer un bon moment en compagnie d’amis, donc la bouffe je m’en tape, une simple gamelle de riz fera parfaitement l’affaire, j’adore ça, même avec juste un peu de beurre. Mais les gens s’y font, une fois passé le choc de mon végétarisme. C’est d’ailleurs dingue cette réaction de choc, de surprise que ça peut provoquer. Bref. L’autre inconvénient d’être végétarien en France, et d’être végétarien qui en plus n’aime pas le fromage, c’est lors des sorties au resto. Là, difficile de trouver un plat végétarien. Certains restos asiatiques ou orientaux proposent quelques plats végétariens. J’ai même trouvé un kebab végétarien. Mais dans les restos français, du moins dans ceux que j’ai faits à Lyon, je n’ai encore jamais vu de plats végétariens. Même une pizza végétarienne sans fromage, dans la seule pizzeria que j’ai faite, il n’y avait pas. Le végétarisme en France, du moins à Lyon, je ne sais pas dans les restos des autres villes, n’est pas très développé.

 

Mais pourquoi être devenu végétarien ?

 

Ça peut paraître bizarre, mais la souffrance animale n’est pas ma motivation première. Disons que c’est juste la cerise sur le gâteau. Quand je vois des reportages sur la souffrance animale, je suis bien heureux d’avoir décidé de devenir végétarien.

 

Mes raisons sont écolo-socio-politico-économiques.

Ce sont les suivantes :

 

Le mode d'alimentation non-végétarien est insoutenable. L’alimentation à base animale est trop peu efficace, car elle consomme plus de ressources et génère beaucoup plus de pollution que l'alimentation végétarienne. L’efficacité de la production alimentaire peut se définir comme le rapport entre les quantités de nourriture que mange l’être humain et ce qui est mis en œuvre pour que la nourriture arrive dans son assiette : agriculture, élevage, industries, transports, ... La production alimentaire animale est d’une efficacité très faible, car elle se place au sommet d’une chaîne alimentaire à plusieurs étages, selon une hiérarchie humain/animal/végétal. Alors qu’une alimentation totalement végétale comporte un étage de moins : humain/végétal seulement, ce qui implique une base végétale environ 10 fois moins importante pour nourrir un être humain, car le rendement de l’élevage (par rapport aux végétaux de fourrage qui y entrent) dépasse rarement 10 %.

 

La consommation de produits animaux implique donc non seulement une production végétale beaucoup plus importante qu’une alimentation végétale directe, mais la multiplication des étapes de production (élevage, boucherie, fromagerie, transports, congélation, conditionnement, emballage...) multiplie aussi les déchets, les sous-produits potentiellement polluants. Les conséquences de notre alimentation carnée (et lactée) sont dramatiques pour les sols, les eaux souterraines et de surface, les forêts et l’atmosphère.

 

La réponse des vegans de tous poils à ces problèmes est de diminuer toutes ces pressions sur l’environnement en supprimant leur demande en élevage, ce qui diminue aussi leur demande indirecte en végétaux.

 

La consommation d’animaux, eux-mêmes nourris de végétaux, est pour les humains une forme d’alimentation indirecte. En conséquence, pour obtenir la même quantité de calories ou de protéines dans l’assiette, il aura fallu cultiver 5 à 10 fois plus de végétaux pour de la viande que pour du pain. Dans les années 1990, 50 % des céréales cultivées en Suisse (70 % aux USA) étaient destinées à l’alimentation des animaux. Un vrai gaspillage compte tenu de toutes les personnes qui n’arrivent pas à se nourrir sur Terre.

 

Nourrir des animaux d’élevage demande plus de surface à cultiver pour faire pousser des céréales et autres végétaux. Comme il y a concurrence dans le monde entier entre l’agriculture et la forêt, et que les intérêts des humains priment sur ceux des autres espèces, ce sont les forêts qui trinquent. La déforestation de la forêt amazonienne est en bonne partie destinée aux grands propriétaires terriens qui font de l’élevage et de la culture de soja pour l’exportation dans les pays riches. Comme les arbres maintiennent le sol grâce à leurs racines et diminuent le ruissellement de l’eau, le passage d’une forêt à une surface agricole se traduit souvent par une destruction des sols à court ou moyen terme. L’intérêt des humains est donc de minimiser leurs besoins en surface agricole, car l’épuisement des sols va bon train.

 

Pour ce qui est des terres trop pauvres pour l’agriculture et utilisées pour le pâturage, elles sont souvent surexploitées, notamment à cause de la misère de nombreuses communautés pastorales qui les pousse à user leurs terres au maximum, causant ainsi un appauvrissement des sols et une désertification progressive.

 

Le gaspillage devient encore plus criant lorsqu’on observe les conséquences de l’élevage sur les eaux, qui sont de plus en plus rares et/ou polluées dans de nombreux endroits de la planète. D’une part on consomme une grande quantité d’eau propre : alors que la production d’un kg de céréales nécessite environ 100 l d’eau, celle de viande nécessite 2 000 à 15 000 l d’eau ; d’autre part on rejette dans l’environnement des eaux fortement polluées.

 

Les surfaces agricoles destinées au fourrage nécessitent de l’irrigation, et sont largement cultivées de manière intensive, avec moult nitrates et produits biocides, et la pollution des nappes phréatiques que cela implique.

 

À cela s’ajoutent bien sûr les eaux usées issues de l’élevage, qui sont fortement chargées en ammoniac, ce qui est une des causes majeures (avec les nitrates et les phosphates) d’eutrophisation des eaux de surface. L’eutrophisation est une sur-fertilisation des écosystèmes aquatiques qui amène une prolifération d’algues, jusqu’à priver le fond de lumière et d’oxygène, ce qui fait d’abord disparaître presque toute la biodiversité puis crée des conditions anaérobies nauséabondes et polluantes.

 

Environ 50 % de la pollution des eaux en Europe est due aux élevages massifs d’animaux. En Bretagne, la pollution des eaux due aux élevages porcins est une catastrophe majeure. Aux USA, la part de pollution des eaux due à l’agriculture est plus importante que celle due aux villes et aux industries réunies. En Suisse centrale, plusieurs petits lacs comme ceux de Sempach et de Baldegg sont si eutrophes (à cause de l’élevage bovin) qu’on a dû les oxygéner artificiellement à l’aide de pompes.

 

La destruction des forêts et le sur-pâturage, la pollution des eaux et le dérèglement climatique détruisent l’habitat d’innombrables espèces, ce qui ne manque pas de causer la disparition définitive de nombre d’entre elles.

 

De plus, les animaux que les humains utilisent pour se nourrir sont le fruit d’une très étroite sélection des espèces et races les plus rentables, que l’on reproduit à volonté au détriment de l’immense variété existant à l’état sauvage. Ce processus atteint actuellement son paroxysme avec les OGM qui sont en train d’être expérimentés tant sur les végétaux que sur les animaux.

 

J’ai parlé des problèmes de déforestation causés par l’élevage et le pâturage, il est donc facile d’en déduire les conséquences en termes de largage de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, donc d’augmentation de l’effet de serre.

 

Il faut savoir que la production de méthane par les pets des vaches augmente plus l’effet de serre que nos transports ! En effet, le méthane (CH4), gaz produit dans les processus de dégradation anaérobie (sans oxygène) de la matière organique, est environ 20 fois plus efficace que le CO2 en termes d’effet de serre. Or, les intestins des ruminants en produisent beaucoup, d’autant plus s’ils sont nourris de manière intensive avec des céréales. Résultat : la quantité de méthane dans l’atmosphère a augmenté de 150 % en moins de deux siècles (les ruminants n’en sont pas la seule cause, mais une des principales). De même, les australiens pensent faire des pub pour consommer plus de kangourou que de bœuf, parce que le kangourou produit beaucoup moins de méthane, donc manger du kangourou est écologique...

 

Sans oublier la consommation accrue d’énergie destinée à faire parvenir les produits d’origine animale dans nos assiettes : les tracteurs roulent au Diesel ; les intrants chimiques (fertilisants, biocides) demandent de l’énergie à la fabrication ; le transport du fourrage et du bétail se font souvent sur de longues distances ; les élevages, les abattoirs, les fromageries, la pasteurisation, le conditionnement, les congélateurs consomment de l’électricité et de la chaleur.

 

L’alimentation animale augmente indiscutablement les dégâts sanitaires de la malbouffe dans les pays riches : cholestérol, cancers, ostéoporose... Le coût environnemental du traitement médical de ces maladies « de civilisation » n’a probablement pas encore été évalué, mais il est sans nul doute considérable.

 

Outre ces aspects écologiques, il existe des aspects politico-économiques qui ont motivé ma décision. Nous vivons dans une société urbaine, industrielle et marchande.

 

Finie l’autonomie alimentaire, bonjour l’agriculture et l’élevage intensifs, l’industrialisation tous azimuts. Même s’il existe encore des bergers sympas et depuis peu des éleveurs bio, l’écrasante majorité de la production alimentaire est organisée, rationalisée à grande échelle, et représente pour l’économie capitaliste un secteur industriel comme un autre.

 

Les régions densément peuplées, les systèmes urbains en particulier, doivent importer des ressources pour s’alimenter. Ceci implique que d’autres régions doivent produire plus que ce qui est nécessaire à leur propre consommation, pour pouvoir exporter vers les villes. Pour s’assurer de leur alimentation continue, les villes doivent s’assurer de la collaboration sans faille des campagnes ou des régions qui les nourrissent, et le font en établissement sur celles-ci des rapports de domination sociale : propriété privée, étatisation, colonisation, industrialisation, guerres. Pensons au colonialisme et à son importance pour le développement des villes et des états occidentaux. Tout au cours de l’histoire, les villes ont progressivement constitué le lieu du pouvoir, menant les processus de domestication de l’humanité : agriculture, esclavage, servage et salariat. Le salariat est la forme de domestication qui correspond à la révolution industrielle, et l’exode rural forma le prolétariat industriel, dépendant de l’État bourgeois.

 

Parallèlement a progressé aussi la domination de la nature : de la révolution néolithique à la révolution industrielle, la « nature sauvage » s’est transformée aux yeux des humains en « ressources naturelles », à mesure que les progrès techniques poussèrent de plus en plus loin les possibilités d’exploitation de la nature. La domestication des céréales permit non seulement à des plus grands groupes humains de se rassembler et créer des villes, mais aussi à des élites de se former dans ces villes autour du savoir technique et du stockage des céréales, indispensables aux populations urbaines qui en dépendaient. C’est le même schéma qui n’a cessé de se répéter depuis : la domestication d’un élément préexistant dans la nature permet à une élite de domestiquer d’autres humains.

 

Aujourd’hui, dans les États industrialisés, l’ancienne classe paysanne y est considérée comme un ensemble de salariés, qui sont exploités par divers groupes privés (grands propriétaires, centrales de distribution alimentaires, semenciers, industries des machines agricoles, des pesticides, des antibiotiques, etc.), mais aussi par l’État (TVA, impôts fonciers, impôts de succession lors de l’héritage de la ferme, ...). Dans un tel rapport de domination et d’exploitation, les agriculteurs luttent pour leur survie et doivent produire à moindre coût, ce que les pouvoirs en place justifient grâce à leur idéologie productiviste.

 

Selon l’idéologie productiviste, la voie du progrès est l’augmentation continue de la productivité, c’est-à-dire la diminution des coûts de production par rapport à la richesse produite. Ce qu’on voit en pratique, c’est que cette idéologie profite uniquement aux possédants et néglige les conséquences sociales et environnementales de la production. Le productivisme est la logique de la privatisation des profits et de la collectivisation des coûts (les « coûts externes »).

 

L’exigence de minimisation des coûts conduit à la concentration et à l’industrialisation des élevages, ce qui profite aux capitalistes énumérés précédemment (grands propriétaires, etc.) et coûte au bien-être des animaux et à la société en général. Gestion publique des pollutions, endettement de la petite paysannerie puis mise au chômage, subventions de la production de viande, de lait, etc. Il est donc faux de dire que les consommateurs et consommatrices bénéficient du faible coût des produits animaux, puisqu’en tant que contribuables, ils assument les « coûts externes ».

 

Je trouve complètement ridicule de forcer les pays en voie de développement à produire des céréales pour nourrir des animaux que les pays riches du Nord mangeront, sans que soit assurée l’autosuffisance alimentaire de ces pays. Il est plus logique qu’ils produisent les céréales pour se nourrir avant de produire des céréales pour des animaux qu’ils n’auront jamais l’opportunité de manger. Il n’y a là pour moi aucune différence avec l’esclavage. Une population, au sens statistique du terme, est forcée à produire, dans des conditions de vie déplorables, des biens auxquels elle n'aura jamais accès pour le bon plaisir de ses maîtres.

 

Je conçois le végétarisme dans une perspective libertaire et écologiste, dans une perspective de décroissance économique, de réappropriation de l’alimentation, de combat contre la marchandisation du vivant. Dans le contexte actuel, être végétarien pousse à cuisiner soi-même, à questionner l’industrialisation et, plus largement, le système de domination capitaliste interhumain et entre humains et animaux.

 

Il faut se rendre à l’évidence que le meilleur moyen de réduire la consommation est de ne pas consommer, que la voie la plus simple pour réduire les déchets est de ne pas en produire, que réduire l’esclavage passe par diminuer le nombre d’intermédiaires nécessaires pour se nourrir et vivre. C’est pour toutes ces raisons j’ai franchi le pas du végétarisme, et que je sais qu’à terme je franchirai le pas du végétalisme (en supprimant donc tous les produits dérivés d’origine animale tels que le lait et les œufs) ; j’ai encore du mal à ne plus manger d’œufs et à me dire que je ne pourrai plus manger tous les bons gâteaux faits maison.

 

 

Fushichô

 

1 février 2009

Végétarisme
 
© 2010 Fushichô